Z. M.
Il ne s'y attendait pas. Et, à vrai dire, il n'y tenait pas. Toutes ces années à fuir, à se draper dans les brumes feutrées de Venise, dans des cathédrales vaporeuses, dans des femmes qui ressemblaient à des paysages.
Et ils étaient là. Suppliciés, implacables. Un jour il avait pris son crayon et ils étaient là. Le trait s'était déployé, la mémoire avait repris le pouvoir, l'avait guidé, avait tenu sa main selon la logique impitoyable des cauchemars. Les visages grimaçant au-dessus de cordes de pendus, les corps décharnés, les presque squelettes, les déjà cadavres avaient surgi.
Les fantômes avaient pris possession de son refuge, de son abri de papier blanc, et il y avait de quoi se mettre en colère.
Mais il devait leur obéir. L'armée des ombres, des assassinés, des génocides se levait sur le papier. Il retrouvait le coup de crayon halluciné de là-bas, cette possession, cette atroce fascination. La beauté inavouable de l'horreur.
Là-bas, c'était aujourd'hui.
Il n'avait pas le droit de retenir les fantômes qui tremblaient sous ses doigts.
L'un et l'autre
Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle.
L'un et l'autre : l'auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière ?
Les uns et les autres : aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieure, personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus.
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