Il m'arrive quelquefois d'oublier un nom propre ou un terme
courant, pourtant familier. Cela le temps de dix secondes ou
d'une demi-heure. Mais c'est chaque fois angoisse, vertige et
même panique. Car perdre la mémoire, c'est perdre la vie et
plus encore l'essence même de la vie. Dans la mesure où la
mémoire - l'ai dit à de multiples reprises -, qui transcende le
temps, nous met en relation avec l'instance ultime, créatrice
de toute vie. Alors quoi ? Le fil d'Ariane rompu ? La relation
compromise, qui donne sens à la vie. D'où panique accrue.
Devant cet abîme, deux possibilités : ou bien chercher à tout
prix à retrouver le nom propre ou le terme courant, avec acharnement
même ; et, bien entendu, sans résultat. Ou alors, lâcher
prise, laisser aller, s'abandonner. Adviendra ce qui adviendra.
Et puis tout à coup, au moment le plus inattendu, miracle :
le nom propre ou le terme courant resurgit. Joie ineffable de
ces retrouvailles. Qui n'a d'égale que l'intensité de la panique
antécédente. La vie est de nouveau là. On peut continuer. Avec
courage. Mais là n'est pas le plus important. Le plus important,
dans cette menue péripétie - menue, oui, mais en même temps
symbolique - c'est l'accord du lâcher prise et de la confiance.
Qui ne font qu'un. Au terme de quoi, c'est, comme le nom
propre et le mot courant, l'Eden qui là aussi est retrouvé.
G.H.
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