Saint-John Perse a composé Vents pendant l'été 1945, alors qu'il séjournait,
comme chaque été, sur une petite île du Maine (États-Unis). C'était le sixième
été de l'exil, depuis que, au mois de juin 1940, Alexis Leger, le diplomate, avait
été relevé de ses fonctions de Secrétaire général du Quai d'Orsay par Paul
Reynaud. Du fond du silence et de la solitude, l'appel de la poésie s'était à
nouveau fait entendre, elle qui avait été laissée en retrait depuis Anabase. Et avec
le recueil, d'abord intitulé Quatre poèmes - 1941-1944, puis Exil, un cycle s'était
clos. Celui de l'exil politique : la libération de la France occupée pouvait laisser
légitimement prétendre à une réhabilitation du proscrit. Celui de l'exil poétique :
Perse avait appris le sacrifice du passé et le dialogue imaginaire avec les gens de
peu, sur les chantiers et les cales désertées par la foule, après le lancement d'une
grande coque de trois ans. Le thème n'était bientôt plus de circonstance.
Or, dans les mois qui précédèrent Vents, Saint-John Perse se trouva face à
un dilemme majeur : il allait falloir choisir entre la reprise de la vie publique
du haut fonctionnaire - mais quelle serait-elle ? - et la construction d'une
grande oeuvre poétique - mais serait-elle entendue ? On sera peut-être surpris
d'apprendre que c'est le poète qu'il avait eu l'intention durant l'été 1944
d'étrangler, devenu trop inopportun pour la préparation pratique à une vie nouvelle
(lettre à Mrs Francis Biddle). Vents est donc le résultat inattendu d'une crise du
renoncement, aussi grave que la nuit de Gênes pour Valéry.
Finalement, Saint-John Perse a voulu demeurer chez ses amis américains,
quitte à s'installer dans une posture fictive d'exilé. Dans son poème, il traverse
les États-Unis, à cheval, d'Est en Ouest. Aurait-il tourné le dos à la vieille
Europe blessée et renoncé à y faire entendre sa voix ? Ou bien, serait-ce que la
hauteur de sa monture et la distance de l'Atlantique fussent les seuls lieux d'où il
réussissait à parler aux hommes de son pays ?
Poussé en avant par la force des vents, par le rythme entraînant du verset et les
rebonds inouïs des images, le lecteur n'a pas toujours conscience du drame qui
se joue dans Vents : les destinataires ardemment sollicités y sont absents.
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