Une histoire des haines d'écrivains de Chateaubriand à Proust
« Avez-vous bien des ennemis ? » Voilà ce qui préoccupe Balzac, dans la lettre qu'il écrit à son confrère Eugène Sue le 18 novembre 1832. Sue répond sur le même ton : « Les ennemis ? Oh ! très bien, parfaits et en quantité. »
La course aux honneurs et à la gloire est indissociable de la condition d'écrivain, particulièrement au XIXe siècle, quand la presse devient toute-puissante et que les tirages des livres augmentent toujours plus. Autant de motifs d'envie et de ressentiment pour nos chers auteurs : Balzac accuse Hugo d'utiliser des journalistes à sa botte pour l'éreinter, lequel Hugo se brouillera avec Dumas pour une sombre histoire de rivalité théâtrale ; Lamartine, qui vend ses fonds de tiroir pour gagner de l'argent, devient la risée de ses pairs ; quant aux Goncourt, ils crient au plagiat perpétuel : Flaubert a copié leur usage de l'imparfait, Zola leur vole le sujet de leurs livres... Tous trouvent que leurs confrères sont injustement célèbres. Le Rouge et le Noir est écrit en patois, claironne Hugo ; Sainte-Beuve, dit « Sainte-Bave », et Bloy tirent sur tout ce qui bouge ou à peu près ; Jules Renard, lui, confesse : « le succès des autres me gêne, mais beaucoup moins que s'il était mérité. »
C'est parce qu'ils sont écrivains, parce qu'ils savent quel mot fait mouche et fait rire, que leurs haines sont si savoureuses pour nous, lecteurs. Fulgurances de l'esprit, ruses et dédains, mensonges et duperies : ne boudons pas notre plaisir...
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