Uccello, le peintre dit «l'Oiseau», Paolo di Dono de son vrai nom, laisse avant de mourir un étrange tableau dont la destination, aujourd'hui encore, demeure inconnue : de jeunes seigneurs florentins, pourpoints rouges et chausses noires, environnés de serviteurs agiles et de lévriers bondissant, se précipitent au fond d'un bois où gambadent les faons. Cette chasse, qui transgresse toutes les règles de l'art, est de pure fiction. Le peintre abandonne la proie pour l'ombre, la chasse pour l'image, et fait de cette poursuite enchantée un poème de perspective. Sur ce panneau emblématique, Uccello invente la géométrie magique d'une perspective non albertienne, perspective du temps plutôt que de l'espace, fantasmagorie du regard impatient plutôt que distribution raisonnée des places et des rôles, jeux du désir plutôt que construction du géomètre. On avait oublié, depuis le célèbre essai de Panofsky, cette poétique de la profondeur, indifférente aux dogmes des mathématiciens comme aux formes symboliques, mais subtilement sensible au chatoiement de la couleur, au scintillement de la nuit, à la chasse du regard. La prise, toujours imminente et qui toujours s'esquive, lance le peintre à la poursuite du motif et creuse dans la forêt une scène convergente où se joue, depuis la Renaissance, le théâtre de peinture. Sur cette scène de chasse en Toscane, Uccello expose sous nos yeux la théorie de son art.
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