De 1650 à 1830, dans un vaste quadrilatère dont les pointes extrêmes atteignaient les faubourgs de Saint-Brieuc, Corlay, Pontivy, Moncontour, s'est développée une zone de production de toiles de lin : la manufacture des « bretagnes ». En 1789, cette activité occupait 35 000 personnes employées à différents travaux comme ceux de commercialisation du lin, de filage, de tissage, de blanchissement et enfin de transport des toiles principalement vers Saint-Malo. L'ouvrage de Jean Martin fait revivre toutes ces activités et leur impact sur la région concernée. Le grand commerce de la toile ne pouvait manquer d'attirer l'attention, puisque 90 % de la production bretonne étaient destinés à l'Espagne et à ses colonies américaines. Produit d'exportation et produit « labellisé » ont toujours été les deux caractéristiques définissant les toiles « bretagnes ». Ainsi s'expliquent aussi bien les fluctuations de production liées à la conjoncture internationale que le constant souci de surveillance manifesté par l'administration royale afin d'obliger les tisserands à fournir des toiles d'excellente qualité. Cette double pression extérieure qui s'est régulièrement imposée à la manufacture a fréquemment reçu le soutien des principaux marchands locaux de toiles, même si celui-ci a été favorisé par la présence des différents inspecteurs des manufactures. La disparition de la manufacture après 1830 pose la question de l'impossible passage d'une activité proto-industrielle au stade industriel. À des causes historiques facilement décelables, comme l'influence du long conflit maritime franco-anglais de 1793 à 1815 ou l'indépendance de l'Amérique latine, il faut ajouter des caractéristiques structurelles à la manufacture des « bretagnes ». Tributaire d'un amont producteur de lin et d'un aval dirigé par les exportateurs malouins, elle n'a jamais été maîtresse de son destin. Même si les richesses américaines qui se sont déversées sur la Bretagne ont donné naissance à une bourgeoisie marchande, elles n'ont jamais provoqué une transformation des techniques de production. C'est cet échec proto-industriel qui explique la première vague bretonne de migration après 1830 et la paupérisation de la zone de production des toiles.
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