Jean Gillibert dans son théâtre ne se contente pas d'explorer
passionnément les fourvoiements de l'histoire de son siècle ;
il cherche, plus encore peut-être, à rendre compte d'un autre
phénomène, lui aussi moderne et non moins inquiétant : la
démission des mots. Il n'est certes pas le premier à avoir diagnostiqué
et ausculté en nous cette maladie du verbe : Artaud - dont il paraît
être aujourd'hui l'un des rares à prolonger fidèlement la quête
avait frayé avant lui ce chemin de ronces empoisonnées et s'y était
cruellement déchiré. Lui-même pense qu'il est sans doute trop
tard pour tenter de guérir l'humanité du cancer langagier qui la
ronge et la paralyse, la réduisant peu à peu à ce grand corps frappé
d'aphasie baveuse et bavarde que l'on sait, à mesure que prolifère
sa rage de communiquer pour ne rien dire.
Ce qui n'est pas une raison, estime-t-il, pour baisser les bras,
et moins encore pour baisser la voix - à condition que celle-ci
daigne s'appliquer à articuler les mots de la tribu avec un minimum
d'exigence. Car si le roman peine de plus en plus à dénoncer
l'insuffisance de ce que nous avons à dire, ou plutôt de la façon
dont nous essayons de le dire, le théâtre, lui, fort de cette présence
physique partagée - et publiquement partagée - entre un acteur-locuteur
et un auditeur à la fois spectateur et témoin, y parvient
encore assez bien. Il est peut-être le dernier lieu où il ne soit pas
tout à fait vain de secouer les mots, de leur faire rendre gorge.
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