R. Morris, le narrateur de ce texte, s'adresse un télégramme depuis le temps de son enfance : les années quarante à Kansas City, Missouri. Il se livre à une sorte d'anamnèse, cherchant à ramener dans le présent le flot des souvenirs d'une époque où l'ivresse de la guerre emplit brutalement l'imaginaire d'un enfant de dix ans. La Deuxième Guerre mondiale fait alors rage en Europe et sa violence lointaine affecte considérablement la vie quotidienne américaine : cartes de rationnement, recyclage systématique, propagande gouvernementale. Quant à la radio et aux journaux, ils répondent aux combats et aux massacres «en train de se faire là-bas» par une avalanche d'images et de sons qui, chaque année, sont plus vrais et plus violents. Comment alors - dans ce temps différé de la cruauté - ne pas s'arrêter devant l'art funéraire égyptien et les Désastres de Goya qui peuplent le musée local ? Et ne pas constater que l'art et la mort partagent désormais un même territoire ? De ce nouvel espace ouvert par la guerre sera issue toute une génération d'artistes américains dont l'auteur de ce texte - Robert Morris - est l'un des représentants majeurs. Plutôt qu'un fragment autobiographique, Télégramme. Les années rationnées est un essai d'exploration de la mémoire en temps réel, une tentative de nouer les fils du présent et du passé, de comprendre enfin si, dans ces années perdues, c'est «l'enfant qui se souvient ou quelque chose d'ancien qui vit encore ?»
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