Dans l'introduction du Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir déclare que s'«il n'y a pas toujours eu des prolétaires: il y a toujours eu des femmes; elles sont femmes par leur structure physiologique; aussi loin que l'histoire remonte, elles ont toujours été subordonnées à l'homme: leur dépendance n'est pas la conséquence d'un événement ou d'un devenir, elle n'est pas arrivée». La dépendance des femmes est une réalité qui n'est ni événementielle, ni devenue. Est-ce à dire que cette subordination doive s'interpréter comme un fait de nature? Beauvoir ne se contente pas de rejeter cette idéologie naturaliste au nom d'un culturalisme bien-pensant, qui a besoin de la notion de «nature» pour détacher celle de «culture». En prévenant que «pas plus que la réalité historique la nature n'est un donné immuable», elle dépasse cette dualité de la nature et de la culture, et forge de nouveaux outils conceptuels pour penser cet objet d'analyse inédit: «la dépendance des femmes qui n'est pas arrivée». Les trois types de discours qui pourraient être convoqués pour mener à bien cette analyse, la biologie, la psychanalyse et le matérialisme historique, sont confrontés à leurs limites, qui les contraignent, quoi qu'ils en aient, à justifier l'oppression des femmes. Ils partagent la conviction que si quelque chose est, c'est arrivé, et qu'il suffit d'en rechercher les causes ou les raisons biologiques, symboliques ou historiques. Beauvoir se propose de rendre compte de l'oppression sans donner aucun gage à sa légitimation. Cette ambition philosophique inédite devrait lui valoir le titre de «grande philosophe», que seuls les préjugés dominants lui disputent encore.
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