On croit souvent que la pensée de Sartre est née en 1933-34, à la lecture de Husserl. En réalité, l'étude des essais de jeunesse, y compris certains posthumes longtemps ignorés, révèle une oeuvre déjà en cours, dont les premières percées sortent leurs effets jusque dans L'idiot de la famille parce qu'elles prennent la forme de tensions indépassables entre la positivité du perçu et la supériorité heuristique de la totalisation et du sens. Sartre a entrevu la contingence au cinéma parce qu'il s'était forgé une vision du monde idéalisée, à forte charge esthétique, dont il s'est défait au fil d'un travail critique culminant avec La nausée et qui a pris pour cible des pans entiers du rationalisme. Il inaugurait ainsi une méthode, faite de critique et d'autocontestation, qui explique l'abandon de son premier grand essai philosophique, une Légende de la vérité aussi ambitieuse que La nausée et qui en livre une des clefs par la mise à l'épreuve du modèle de l'homme seul, dont Sartre fera son idéal jusqu'à la guerre. La Légende de la vérité illustre brillamment la vision sartrienne des idéologies comme revers implicite de l'affrontement de l'homme avec la matière, théorie qui dialogue avec Nietzsche et Marx et n'a rien perdu de son actualité. Mais la Légende laisse aussi le dernier mot à l'adversaire que Sartre est supposé avoir méconnu entre tous, la science, validée ici pour sa complicité profonde avec la démocratie. Les textes préphénoménologiques révèlent ainsi les principes ultimes de la pensée de Sartre, métaphysiques et politiques, qui ont facilité son passage à la phénoménologie.
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