Là-bas je suis allé là-bas, pour voir, ai vu : plein champ, hors champ, lignes et courbes, de bout en bout. J’ai vu Sarajevo, laquelle ? J’ai vu j’ai vérifié, la carte ne quittait pas mes mains, pliée dépliée sans cesse. J’ai vu Sarajevo, laquelle, Sarajevo, a vu [la guerre]. [la guerre] moi je ne sais pas, pas vu : ai cru lire, parfois, en braille, [la guerre] aveugle, ai cru déchiffrer tâtonnant, déduire de l’eczéma des murs. [la guerre] j’ai entendu tonner son assourdissant silence, d’après l’assaut et son bruit total, silence d’après qui va avec. Plein champ hors champ, le silence vit dans les photos, rampant parfois dans les marges - fait une traînée grasse dans l’espace, autour.
La ville elle vue, en 2004, elle vit sa vie : quotidienne/fanfaronne/ quincaillière/bricoleuse, chamaillée. Selon son cours ordinaire d’avant neige imminente. La ville elle bouine, joue. S’en fout pas mal, moi et mon œil notre, mouvant, biais (c’est la gêne). [la guerre] là-bas ça fait dix ans, là-bas on fête l’enfance : eux les seigneurs, enfants qui jouent, leur rire résonne, partout, limpide. Et moi nous on y marche mêlé, traces mêlées comme du sang échangé,marche à travers Sarajevo, qu’on croit lire qui sitôt s’efface. Allés y foutre quoi, Sarajevo 2004 : comprendre mais comprendre quoi : [la guerre] ? Quoi, alors. Sarajevo, avant-poste d’incertain réel, contamine contaminera (les ruines présagent) : allés peut-être apprendre, lire dans son passé marqué, un peu de quoi dira notre futur : ce que je vois je le revois, je marche ensemble dans l’informé, toutes extrémités tendues à se rompre, à battre l’air pour démasquer, démasquer qui : huit lettres.
Derrière les signes, alors.
Voir l’envers de l’image, tenter.
Pour voir.
GB Un travail important, parce qu’il ne s’agit pas d’aller photographier l’autre : c’est notre ville, c’est toutes les villes, c’est habiter la ville. Et la violence, là-bas déchaînée, atteignait le sol de vieille Europe, le nôtre, et d’ailleurs c’étaient nos avions, au-dessus, et c’est notre temps au présent. Rien d’une menace loin.
La parole (à cause de cette incise, dans le texte : La guerre parle......... de Guénaël Boutouillet scrute ces parcelles d’espace et ces gestes d’homme, la photographie s’interroge en permanence sur sa légitimité à traquer le beau, à justifier de sa curiosité, si elle n’est pas d’abord sur nous-mêmes.
Dans la démarche de publie.net, il s’agit d’ouvrir le site à ces réflexions en acte, et utiliser l’ordinateur pour s’y glisser, comme nous le faisons en permanence dans nos recherches et navigations. On donne ici la propre mise en page des auteurs, ce qu’ils ont voulu graphiquement du rapport texte/image.
FB
Guénaël Boutouillet vit à Nantes, il est membre actif de l’équipe remue.net, qui a accueilli de premières mises en ligne de ce travail.
Et fiers d’accueillir dans cette collection Alexandre Chevallier, dont le travail et le site sont comme un indicateur sismique des fissures du monde...