Au-delà de l'analyse du récit appelée naguère narratologie, cet
essai vise à mettre en lumière l'historicité des pratiques narratives
en regard des modes de transmission de la mémoire culturelle. Pour
cela, il propose d'interroger la résurgence des représentations
cycliques du devenir depuis le XIXe siècle, dont on trouve des occurrences
chez Hugo et Michelet, Baudelaire et Blanqui, Marx et
Nietzsche, ou encore, au siècle dernier, chez Pierre Klossowski et
Claude Simon. Pourquoi la modernité, qu'une vulgate historienne
dit structurée par le temps cumulatif et linéaire du progrès, redécouvre-t-elle
l'éternel retour des êtres et des événements ?
Cet art du récit fondé sur la répétition est une réplique à la mutation
des formes de l'expérience du temps amorcée au déclin des
Lumières. En réponse au régime moderne d'historicité que Walter
Benjamin et Hannah Arendt évoquaient dans les termes d'une crise
de l'expérience et d'une rupture de la tradition, les poétiques de la
répétition élaborent une singulière politique du deuil selon laquelle
le passé qui revient ne réconcilie pas le présent avec l'autrefois,
mais fait différer le présent d'avec lui-même. Or cette résistance
mélancolique, qui multiplie fantômes, spectres et revenants,
témoigne exemplairement de l'impact du régime moderne d'historicité
sur les arts du récit depuis deux siècles.
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