C’est surtout dans les époques de transition, de préparation, dans les demi-crépuscules, que la pensée aime à se reporter vers les colosses du passé. On n’en aura jamais fini avec la renaissance ; de quelque côté qu’on y regarde se montre une figure qui vous attire et vous retient sous le charme. Dans cet océan de vie, où tant de forces et d’électricités fermentent et se combattent, où tant de romanesques destinées tourbillonnent, vous n’avez qu’à jeter au hasard vos filets, ce sera toujours la pêche miraculeuse, et vous retrouverez l’anneau de Polycrate dans le ventre de tous les poisse. Il semble que l’âge précédent ait ignoré cette variété, ce pittoresque ; les physionomies s’accusent et s’enlèvent violemment, une fois pour toutes dégagées de ces rigidités monotones, de ces plis funèbres qui leur donnaient je ne sais quel air de famille avec ces saints de pierre agenouillés, les mains jointes, sur les tombeaux...
À la bonne heure ! voilà un homme, l’homme qui, doué au physique non moins vigoureusement qu’au moral, sut gouverner dans toutes les directions sa merveilleuse activité et fut, en même temps que le plus grand des peintres, un véritable ministre des beaux-arts aux jours illustres de la renaissance. Ce Raphaël-là meurt à trente-sept ans dans l’énergie et la grandeur de son humanité ; il porte un chaperon au lieu de nimbe, et les femmes ne lui font pas peur ; sociable et liant au contraire, il ne demande qu’à s’oublier aux aventures, laissant à Michel-Ange la rêverie, l’humeur farouche et les sombres rancunes. Michel-Ange, nature orageuse ; Raphaël, nature lumineuse. Deux siècles encore, et le même contraste se reproduira dans Beethoven et dans Mozart. Michel-Ange d’abord, puis Léonard, puis Raphaël, ainsi prononçait l’opinion du temps, qui du reste n’a guère varié par la suite ; mais Raphaël a sur les autres l’avantage de sa poétique existence. Raphaël est une légende ; il naît, éblouit le monde et s’éteint dans sa gloire comme le soleil. « Ta vie vaut mieux que ta parole, et ta parole mieux que tes écrits, » disait à Goethe un de ses amis, et Vittoria Colonna, parlant à Michel-Ange, mettait son caractère encore bien au-dessus de ses œuvres.
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