L'affaire est entendue, et Karl Jaspers l'a résumée : Carl Schmitt
fait partie avec Heidegger de «ces professeurs [...] qui ont tenté
de prendre intellectuellement la tête du mouvement national-socialiste».
Depuis lors, nonobstant, des contradicteurs distingués
- Strauss, Löwith, Peterson, Kojève, Blumenberg, Habermas,
Derrida... - ont discuté âprement ses thèses, souvent pour les
rejeter, comme il en va avec tous les classiques intéressants, de
Platon à Wittgenstein.
Aussi l'heure est-elle venue de «partir de Carl Schmitt», au double
sens de reformuler des questions essentielles à partir de certains
de ses travaux et de lui donner congé lorsqu'il ne nous aide plus à
penser. Certains de ses concepts (le nomos de la terre, la constitution
comme décision «existentielle»...) ou des concepts sur lesquels
il a apposé son empreinte (le pouvoir constituant, l'État de droit
«bourgeois») éclairent différemment des questions telles que le
rapport entre décision et rationalité ; l'enracinement des normes
juridiques dans les institutions ; le statut de l'ordre constitutionnel
et ses présuppositions ; les effets pervers du retour de la morale en
politique internationale (droits de l'homme et démocratie forment-ils
le couple uni que l'opinion dominante nous décrit ?).
Mais cette fécondité se heurte à une limite fondamentale : Schmitt
est plus efficace pour penser des ruptures et des instaurations que
pour décrire le fonctionnement normal de l'ordre juridique établi.
À jamais, il demeure un penseur du dissentiment.
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