En principe, Protagoras est quelqu’un qui a beaucoup pour plaire. C’est un démocrate aux prétentions plutôt modestes, un homme qui s’efforce d’améliorer autant qu’il le peut le bien-être des individus qu’il côtoie et celui des cités dans lesquelles il séjourne. Un réformateur sans doute, mais prudent et bien vu de « toute la Grèce cultivée », comme l’avait déjà noté Nietzsche. Pourquoi alors tant de défiance à son égard ? Bien sûr, chacun sait ce qui a entaché son nom et sa réputation dans l’histoire, une machine de guerre conçue par Platon pour discréditer ses positions et à laquelle Aristote lui-même, qui lui doit en réalité beaucoup et le rejoint sur plusieurs points, a contribué.
Dans le présent livre – le premier en langue française à lui être expressément consacré –, l’on verra pourtant qu’un autre portrait de Protagoras est possible, celui d’un penseur qui tient sur la réalité sensible des propos beaucoup plus fondés que ce qu’on a généralement reconnu, qui adopte face au divin une position plus révérencieuse que ce que sa fameuse déclaration « agnostique » a pu laisser supposer, qui se révèle plus proche d’Aristote que ce qu’on a prétendu et que l’intéressé lui-même s’est montré prêt à le reconnaître, et partisan d’une démocratie de type modéré dont Aristote plus tard se fera lui-même le chantre.
Bref, un Protagoras qui épistémologiquement, religieusement, éthiquement et politiquement parlant, se mesure en fait aux plus grands esprits dans l’histoire, un penseur innovant qu’il convient de reconsidérer et dont on tente par ailleurs ici – une nouveauté – de retracer l’influence depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.
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