Ce livre est le résultat d'une longue recherche de sociologie politique sur les
origines et les enjeux africains de l'émigration «irrégulière» vers l'Europe. L'ouvrage
s'interroge en ouverture sur les procédés d'enquêtes, et notamment ceux des
théories globales et économiques, peu au fait des questions de politique africaine.
L'étude prend en «situation» les figures d'émigrants «irréguliers», l'économie
de la défection (exit option), et part des faits sociaux qui interviennent dans la
construction de la volonté de partir. L'émigration «irrégulière» est l'un des marqueurs
du changement qui opère partout en Afrique depuis l'irruption de la tutelle
financière multilatérale et la libéralisation politique, deux facteurs de crise pour le
modèle néo-patrimonial de l'État africain, très résistant au changement.
A travers l'exemple du Cameroun, on voit comment l'imaginaire et l'économie
matérielle des départs et des destinations se greffent sur cette crise, qui crée de nouveaux
termes de la dualisation sociale et élargit la pauvreté aux classes moyennes
en modifiant les termes des rapports de l'État à la société. Dans cette conjoncture
qui confine à l'intégration sociale au rabais, l'émigration «irrégulière» est une
riposte à la crise de l'État africain et une modification, par le bas, des attentes, des
lieux et des ententes de la domination (post)coloniale. Elle montre à l'oeuvre, par-delà
les déclassés sociaux en quête de salut, un État-rhizome africain qui n'a pas
fini de complexifier ses ramifications, de s'adapter aux temps de pauvreté et d'inventer
de nouvelles modalités de sa légitimation.
Circuit de la débrouille parmi d'autres, l'émigration «irrégulière» pose la
question de la gouvernabilité des sociétés africaines contemporaines et incite à
réexaminer certaines pratiques à nouveaux frais : corruption, clientélisme politique,
insubordination à l'«ordre qui vient d'en haut», promotion des cadets, etc. L'enquête
montre aussi qu'à travers l'analyse de l'urbanisation du pouvoir et de la pauvreté,
se pose la question de la sociogenèse de la fascination réelle ou supposée des
Africains pour une Europe inscrite dans la subjectivité des colonisés comme «pays
de cocagne», et cela par l'invention de plusieurs dispositifs de la violence, en l'occurrence
la ville (post)coloniale.
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