Anna Maria Ortese est surtout connue comme romancière, L'Iguane, Le Port de Tolède, La Douleur du chardonneret, Alonso et les visionnaires, et moins par ses poèmes, y compris en Italie, où les deux recueils, Mon pays est la nuit et La Lune qui passe ont été publiés en 1996 puis en 1998, l'année de sa mort. C'est un peu comme si, à côté d'une écriture destinée au Lecteur - qu'elle interpelle souvent dans ses romans - elle avait eu une écriture plus intime et personnelle ou tenu « un journal de l'âme », ainsi qu'elle définit, dans Le Port de Tolède, un groupe de ces poèmes. Et on pourrait continuer à voir, dans la poésie d'Anna Maria Ortese, dans ce jardin secret, comme on le fait souvent, l'esquisse dont on trouve de plus amples développements ou illustrations dans les romans. Mais une vue dialectique des choses serait peut-être plus équitable si l'on considérait que l'esquisse se poursuit d'un poème à l'autre, qu'elle forme alors des diptyques ou des triptyques, embrasse une section poétique, s'étend à l'ensemble d'un recueil ou des deux recueils qui ont d'ailleurs - est-ce un hasard ? - une scansion chronologique identique. Et cette grande esquisse, cette plus vaste construction poétique à travers le temps n'aurait pas lieu d'être si elle n'exprimait une visio mundi inséparable d'une visio Dei. Dieu, le monde, la Création, l'autre, le fini et l'infini, voilà qui anime le dialogue sans fin - et le questionnement - de l'oeuvre poétique d'Anna Maria Ortese.
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