A guère moins d'une décennie de la disparition de son auteur, il devient envisageable d'établir un bilan, éloigné autant que faire se peut des hagiographies et des règlements de comptes, de l'oeuvre de Pierre Bourdieu, sociologue médiatisé comme aucun avant lui. La tâche était d'autant plus ardue qu'en préconisant une « sociologie de combat » Bourdieu a donné de lui et de la sociologie en général une image partisane et dominatrice, à laquelle Cornaton oppose une sociologie partagée, apaisée, de la main ouverte. Sa profonde originalité est d'avoir choisi de s'immerger dans l'oeuvre « en sympraxie plutôt qu'en sympathie », pour reprendre une formule bourdieusienne.
Le Bourdieu de Cornaton nous permet de découvrir deux hommes aux origines sociales communes, aux engagements fondamentaux identiques (l'Université, l'Algérie, les camps de regroupement, la recherche-action, la défense des opprimés, etc.) et, finalement, des choix de vie et des résultats de recherche différents sinon divergents. Une véritable analyse psycho-sociale comparée qui démonte, in vivo, la mécanique bourdieusienne de la prédestinée. Tout en présentant ses convergences et divergences sur les concepts et terrains du sociologue, à partir de textes moins connus, Michel Cornaton veut nous faire entendre aussi le combat intérieur douloureux de Pierre Bourdieu pour conjurer la schize qui, sa vie durant, l'a coupé en deux.
Lorsque la sphère Bourdieu aura continué à se dégonfler et que l'oeuvre aura un peu plus perdu de son rayonnement on peut se demander ce qu'il en restera. Certainement une partie, mais laquelle ?
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