Les murs
Les murs
Ont des oreilles
Et les miroirs
De yeux d'amant
Jean Cocteau, L'Ange Heurtebise (1925)
Des oreilles ? C'est possible, puisqu'un graffiti marseillais, entre deux oreilles dessinées, demande, en lettres majuscules « Parlez plus fort ». En tout cas, ils parlent ; les graffitis parlent, utilisés pour porter cette parole : une parole écrite, mais une parole. C'est ce que Jean de Breyne retient et veut nous donner à entendre dans ce travail photographique. Elle émane aussi bien de sujets lettrés et spirituels que de ceux qui ont le sentiment de n'avoir pas la parole. C'est que le langage échappe, souvent maladroit, difficile. Les langues sont multiples, et se mélangent. Nous retiendrons parfois un jeu d'initiale identique aux monosyllabes, parfois une éventuelle superposition de deux mots, Nommez/hommez, dont le second est un néologisme qui ajoute au sens, parfois le retour à la ligne sert de ponctuation et rythme le texte, d'autres fois le dessin parle. D'autres fois encore il y a peut- être une grammaire des fautes, des jeux de dérivation entre deux mots, une ellipse agrémentée d'une assonance. Une des spécialités des graffiti, telle l'obscénité, est présente de manière particulière, qui n'a rien à voir avec la pornographie des latrines qui l'illustre la plupart du temps. C'est sans doute dû au bon goût du photographe. C'est dans ces conditions que l'esprit déploie toutes ses nuances dans diverses figures, quel que soit le sens de la phrase : la rime, la parodie du proverbe, le calembour, le jeu de la polysémie, la contrepèterie. Plus complexe est ce petit tercet en anglais, qui comporte, à chaque ligne-vers, des répétitions internes, phoniques, et graphiques (-il/ B-/oo) : Evil will be back too soon
Qui peut être celui ou celle qui écrit ainsi sur des murs ? Qui désire laisser sa trace sous forme de lettres, et le mot lettres est ici à prendre dans tous les sens : « missives » comme « tracés » ? Pour le sentiment d'exister alors ? Un je caché pour un/d'autre(s) inconnu(s) ? De toute façon, c'est quelque chose d'un appel au grand Autre, un grand Autre qui ne répond pas...
Dans leur expression, dans leur émotion, ces paroles et ces dessins des murs laissent passer une liberté qui troue une réalité qui pourrait les étouffer, et revendiquent une place que la pollution publicitaire a tendance à recouvrir et à occuper en remplaçant le désir, l'appel individuel par des images, des slogans stéréotypés. À cet égard, la présence de graffiti sur les murs est un gage de liberté véritablement populaire au bon sens du terme, et l'échantillon qu'en donne Jean de Breyne est exemplaire de cette saine et roborative aspiration.
Michèle Aquien
We publiceren alleen reviews die voldoen aan de voorwaarden voor reviews. Bekijk onze voorwaarden voor reviews.