Souvent la création poétique m'apparaît comme une extase, un mouvement d'oblation vertical accompli, hors de mon propre corps, à l'intention de la lumière bleutée du soir, et des premières étoiles puisantes dont accouche la nuit. Cependant, nous ne bondissons pas aux antipodes de notre être charnel, dans un lieu absolu qui ne serait sans doute qu'une abstraction gratuite, une illusion, un dérisoire paradis imaginaire. C'est seulement dans l'instant à venir que nous nous précipitons ainsi, à supposer que nous allions vraiment quelque part, dans l'élan de la lévitation intime... La poésie parle donc le langage du futur incontrôlable, elle ouvre en nous et devant notre visage un domaine fait de temps vierge, que nul ne saura jamais réduire en formules. Pourtant, le poème, paradoxalement, constitue l'effort de proférer hic et nunc l'informulable lendemain tant désiré par ma conscience tendue vers son zénith à l'heure hivernale de minuit. Comme la vie réelle, il est tout entier tension vers, délivrance printanière du souffle incarné dans la pesante parole quotidienne des hommes.
Claude Vigée, « L'annonce d'un matin d'hiver ».
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