Le cinéma nous regarde, il en sait souvent plus sur nous et notre époque
que ce que nous croyons savoir sur lui. Il nous livre un instantané
photographique du temps qui passe et ouvre la possibilité de la critique
au coeur du divertissement. Cet art des masses est un art du monde, des
peuples, du peuplé, du dépeuplé, du populaire, et parfois du populiste.
Le cinéma, ce n'est pas exactement le film, c'est ce qui, dans le film, ne
relève pas du sens, en quelque sorte la part folle et non théologique du
film. Ce art excède son esthétique, en rendant sensible en lui la trace des
spectres, de l'oublié, du sans-voix et du laissé-pour-compte. «Dès qu'il
cut franchi le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre», entend-on dans
Nosferatu de Murnau. Ces traces ou ces apparitions de fantômes sont
inséparables du rêve et de la remémoration qui a lieu au cinéma. La pensée
est cinématographique, depuis des temps immémoriaux, elle rêve et pense
en cinéma. Depuis que le cinéma existe par ses films, depuis que prolifèrent
ces singulières temporalisations des images par le mouvement, le cinéma
suscite, invente et innerve la pensée.
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