Prince Charles-Joseph de Ligne
Lorsque Charles-Joseph de Ligne (Bruxelles, 1735-Vienne, 1814) évoque ses Contes immoraux, il les appelle toujours « mon roman », laissant à croire qu'il se serait par ailleurs peu intéressé à ce genre. Le présent volume infirmera, une fois encore, ses dires. Les onze ouvrages narratifs rassemblés ici complètent l'intégralité des textes « romanesques » repérés à ce jour. Pour certains partiellement inédits et, quoi qu'il en soit, toujours rarissimes, ils n'avaient jamais fait l'objet d'une édition critique. Une fois encore, l'étude des diverses versions, manuscrites et imprimées, confirme le « travail d'écrivain » auquel Ligne s'est astreint, quoi qu'il en ait pu dire.
Contes philosophiques ou moraux, romans épistolaires ou encore nouvelles reflètent la variété du genre romanesque durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cette surprenante diversité résulte, pour partie, des temps parfois très éloignés auxquels les ouvrages ont été élaborés. Si, en 1761, L'Anglais à Paris nous révèle un Ligne tenté par l'athéisme, la Vie du chevalier de Macare ou Le parfait Égoïste nous le montre favorable au maintien de l'ordre établi. En morale, en revanche, le prince ne change pas d'un iota : une même conception eudémoniste du rapport de l'individu au monde guide une réflexion morale très libre : Les deux amis - peut-être la première nouvelle d'amour homosexuel de la littérature française - bien qu'écrits vers 1765-1767, paraîtront, sans aucun adoucissement, en 1801.
Parfois Ligne s'abandonne au pastiche : c'est bien Candide que L'Anglais à Paris, Amabile ou la Vie du chevalier de Macare prolongent sur des modes divers. Tantôt, le prince s'amuse à inventer une Suite d'Apprius, roman pornographique de Godard de Beauchamp, tantôt une Suite de Valérie, roman sensible de Mme de Krüdener. Le pastiche se fait parodie lorsque Gustave d'Or et les Lettres de Fédor à Alphonsine épinglent, avec humour, « l'exaltation dramatique » de Mme de Staël. Mais Ligne peut aussi se montrer très personnel. Il ose alors certaines nouvelles qui, aujourd'hui encore, frappent par leur stupéfiante modernité : la présence du narrateur s'y vaporise et laisse objets et êtres affleurer, émerger et se dessiner par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Aristocrate jusqu'au bout des doigts et jusqu'à son dernier souffle, Ligne est un écrivain qui incarne le modèle de sociabilité française héritée du Grand Siècle : parfois résolument « classiques », parfois résolument « modernes », le plus souvent éclectiques, ses textes narratifs attestent son génie singulier, celui d'un auteur qui s'efforce toujours de cacher l'art par l'art et l'émotion sous le sourire.
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