Le flamboiement noir des Fleurs du mal, le «frisson nouveau»
ressenti par Victor Hugo au passage de cette comète dans son
ciel poétique semblent avoir occulté le reste de l'oeuvre pour la
plupart des amoureux de Baudelaire, et avec les Petits Poèmes
en prose, qui ont ouvert la voie à la poésie de la modernité,
s'achève en général le cycle des curiosités et des admirations.
Pourtant, il existe nombre de baudelairiens qui seraient
disposés à tout abandonner des poèmes pour quelques dizaines
des pages des Écrits intimes (Fusées et Mon Coeur mis à nu),
tant la pointe en est aiguë et le dépouillement ascétiquement
cruel. De tout notre patrimoine, ces pages-là sont les seules qui
fassent pendant, et peut-être contrepoids, aux Pensées de Pascal.
Pourtant, qui pourrait aujourd'hui contester, de Rimbaud
à Antonin Artaud, d'Alfred Jarry à Henri Michaux, l'étonnante
lignée issue des Paradis artificiels, maître-livre qui suggère au
poète tout autant qu'il le lui interdit d'être le grand malade,
le grand criminel, le grand maudit et le suprême savant.
Pourtant, qui oserait aujourd'hui subordonner en Baudelaire
le critique au poète méconnaîtrait un des éléments essentiels
de sa grandeur. Telle qu'il la conçoit, telle qu'il la pratique, la
critique est elle-même création - une création qui domine de la
manière la plus altière tous les problèmes, toutes les recherches,
toutes les propositions de l'esthétique actuelle.
Exemplaire jusque dans la prose dont il use alors, patiente,
souple, détendue, aussi éloignée de la virtuosité que de l'obscurité,
et merveilleusement proche de nous, Baudelaire demeure
totalement moderne.
Robert Carlier
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