Nous sommes, Meyer et moi, des agents de l'astronautique.
Hélicoptères, avions, fusées, tout est bon
pour nous élever l'esprit. Même les ascenseurs et les
grues. Nous aimons tout ce qui est vertical. Nous
sommes aussi des hommes à femmes. Nous connaissons
par coeur leurs numéros de téléphone et leurs
parfums, nous gardons leurs photos, leurs affaires
oubliées chez nous. Nous ne les séduisons pas toujours
avec le même bonheur.
Elle est sans doute une femme inaccessible mais nous
la voulons, nous l'aurons. Nous la suivrons partout.
Nous trois parcourrons des millions de kilomètres
pour découvrir que, si l'espace n'est que routine, la
Terre ne manque pas d'affreux imprévus.
Les personnages du roman - le héros, la femme et l'autre -
vivent des aventures extraordinaires. Ils sont pris dans le
tremblement de terre et dans le raz-de-marée qui détruit
Marseille, ils participent à un voyage spatial, mais tout se
passe comme si cela arrivait à d'autres, comme s'ils étaient les
spectateurs de leur propre histoire, comme si, dans un monde
tellement regardé qu'il n'est plus fait que d'images, tout, y
compris sa propre vie, y compris ce qui reste d'émotion, de
sentiments, de désirs, de pensée, n'était plus que représentations,
mollement rythmées par les pulsions de l'instant, sans
mémoire et sans projet.
Echenoz confirme ici ses dons de virtuose de la langue, de slalomeur
surdoué de la conjugaison, de jongleur un peu pitre de
la grammaire. Il fait tant et si bien dans le jeu stylistique, dans
la farce rhétorique pince-sans-rire, dans le scenic railway narratif
qu'on pourra prendre Nous trois pour ce qu'il n'est pas :
un superbe divertissement. Mais Echenoz, malin comme il
est, a sans doute inscrit l'éventualité de ce contresens dans la
trame déroutante, déstabilisante de Nous trois dont le titre
peut aussi se lire : l'auteur, le livre et le lecteur.
Pierre Lepape, Le Monde
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