Les Manouches, dont les roulottes et camions sillonnent le Massif central, ne parlent pas de leurs morts. Cette déférence muette procède d’un art plus général du non-dit et de l’absence qui soude la communauté tsigane et l’inscrit dans le monde des Gadjé, le nôtre. Les Manouches ne disent rien d’eux-mêmes. De leurs défunts ils taisent les noms, détruisent les biens et abandonnent les campements aux herbes folles : « L’avènement manouche se fait par la soustraction », souligne l’ethnologue dans ce texte exceptionnel. Seul un intime des « buissonniers », des chasseurs de hérisson, des rempailleurs de chaises et autres ferrailleurs nomades de nos campagnes pouvait procéder à l’ethnographie de ce retrait et de ce silence essentiels, à chaque instant refondateurs de l’identité du groupe dans sa distance aux non-Tsiganes. L’écriture « compréhensive » de Patrick Williams épouse, par son rythme, ses décalages et son inventivité, la complicité subtile du plus apparent et du plus caché, et nous restitue la cassure structurelle qui fait des Manouches ces gens du proche et du lointain, d’ici et d’ailleurs. Ni marginale, ni dominée, ni déviante, leur civilisation n’a cessé de se constituer au sein des sociétés occidentales comme circonstancielle et pure différence. En creux, en contrepoint, en silence. Ce livre plein de finesse, d’émotion et de questions cruciales posées à l’ethnologie nous révèle sous un jour entièrement nouveau l’un de ces « peuples de la solitude » chers à Rimbaud et à Chateaubriand. Alban Bensa
We publiceren alleen reviews die voldoen aan de voorwaarden voor reviews. Bekijk onze voorwaarden voor reviews.