Nerval m'est un vieil ami. Peu enclin au romantisme, je
me suis souvent demandé ce qui me liait à lui. J'étais, je suis
toujours fasciné par les sonnets des Chimères, bien sûr : leur
énigme et leur limpidité tout à la fois. Mais c'est surtout dans
Sylvie et ses autres récits du Valois que je me promenais ; j'y
retrouvais un peu de mes paysages dans une contrée proche.
Je me suis mis à écrire avec lui. J'ai emprunté la trame
d'un de ses contes pour un livret d'opéra dont le style,
certes, est aux antipodes du sien. Plus tard, j'ai retracé sa vie
dans la bouche d'un enfant. Entre temps, je lisais et relisais
Sylvie, Aurélia, et ses autres textes. Plus j'allais, plus son
écriture acquérait une vie autonome, détachée de sa biographie
et des paysages qu'il a parcourus, pour s'engager avec une
incroyable lucidité dans la folle aventure des signes.
Comme l'a senti Proust, il est l'anti-Saine-Beuve : sa vie
l'explique peu. Son oeuvre montre avec douceur qu'un être
humain vient moins au monde qu'il ne tombe dans un langage :
une mise en forme de la réalité dont les bases culturelles,
toujours un peu mythiques, recèlent désirs et dangers. Nerval
ne m'en est devenu qu'un ami plus intime.
Jacques Demarcq
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