« Dans le Paris d'après-1945, un étranger était considéré comme un être potentiellement suspect. J'avais choisi la France, mais la France, elle, ne m'avait pas choisi et s'occuper d'un réfugié de l'Est qui venait de recevoir six millions de morts en héritage n'était alors l'affaire de personne.
Il est dit : "À la sueur de ton front, tu gagneras ton pain." J'ai travaillé jusqu'en 1950 dans la confection et la chaussure. Misérable condition. Aujourd'hui, les gens trouvent ces débuts presque amusants : la vie d'hôtel en garnis, les ateliers du Marais, le froid pire que la faim, la pauvreté, le prolétariat des cantines, le statut de "métèque"... Ils ne
mesurent plus combien notre confiance dans le monde était ébranlée.
Un exil se terminait, un autre commençait. Mais l'exil est un art qui s'apprend. »
Après sa superbe Chronique des années égarées (1997), qui relatait son adolescence roumaine marquée par la Shoah, le grand psycho-sociologue Serge Moscovici, arrivé à Paris en 1948 à 22 ans, nous offre ici la suite française de ses Mémoires, reconstituée de façon posthume par Alexandra Laignel-Lavastine à partir de ses fragments manuscrits. Avec ses compagnons d'exil - Paul Celan, Isac Chiva ou André Schwarz-Bart - ils forment une petite troupe de sans-patrie issue de toute l'Europe. Au fil de souvenirs très vivants et souvent drôles, d'anecdotes et de portraits, ce témoignage offre une plongée inédite dans l'univers de ces jeunes intellectuels juifs à leurs débuts. On mesure ici à quel prix a pu éclore - au contact des Daniel Lagache, Alexandre Koyré, Lacan, Lévi-Strauss - une des plus éblouissantes générations de la
seconde moitié du XXe siècle.
Un livre rare et merveilleux.
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