Quoi de plus contraire, en apparence, qu'anthropologie et métaphysique
? L'anthropologie ne se doit-elle pas de ranger les
croyances métaphysiques dans le mobilier d'une «culture» et
s'en tenir là ? Ce serait ignorer les transformations profondes qu'a
connues cette discipline dans les dernières décennies. Au lieu
de partir de l'idée préconçue qu'elle doit reconstituer aussi
«objectivement» que possible les cultures des peuples étrangers,
sa partie la plus vivante s'attache à mettre en évidence des
cosmologies qui excluent précisément le partage de la nature et
de la culture. L'anthropologue n'est plus en position de surplomb
par rapport à un «objet», mais fait de son terrain le lieu d'une
expérience de pensée radicale qui ne recule devant la remise en
question d'aucun fondement. L'anthropologie devient une métaphysique
qui ne se distingue de la traditionnelle que par un trait,
certes essentiel : elle fait plus confiance en la vertu du plus étranger
pour «penser autrement» que dans le génie isolé du penseur
de cabinet, ressassant interminablement une tradition narcissique.
S'en dégage une métaphysique des devenirs autant qu'une
épistémologie des savoirs anthropologiques, qui doit à Deleuze et
Lévi-Strauss aussi bien qu'aux Indiens Tupis du Brésil, et qui ne
distingue jamais le travail du concept d'un effort pour décoloniser
la pensée.
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