Une mémoire marrane encore vivante se perpétue obstinément au Brésil,
plus de cinq cents ans après la conversion forcée, jusque dans les terres
arides du Nordeste, dans le lointain et mythique sertão.
Je suis parti à la recherche de traces des judaïsants d'autrefois, de vestiges
d'un passé si ancien, si occulté, en cet autre bout du monde, en ces
immenses déserts de broussailles et d'épines, prédestinés en quelque sorte
à tous les exils.
Entre mémoire et oubli, j'ai pu entrevoir combien la condition marrane
s'accompagne au fil du temps de représentations et réactions ambivalentes,
tant positives que négatives, à l'égard de l'héritage juif : soit la foi
du souvenir et la vénération des martyrs, soit le déni des ancêtres qui ont
transmis à leurs descendants le stigmate de leur «sang impur».
C'est d'un double processus que se compose la mémoire marrane, de deux
mouvements antithétiques (mais non exclusifs car ils peuvent fort bien
coexister parmi les membres d'une même famille, voire chez le même individu)
: d'un côté, fidélité persévérante malgré les bûchers, de l'autre,
volonté de fusion et recherche de l'oubli (ce qui ne signifie pas disparition
totale du champ de la mémoire). Or le Brésil, au cours de son histoire,
a offert et offre aujourd'hui encore des conditions particulièrement favorables
à l'un comme à l'autre phénomène.
N. W.
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