Le seul concert donné par Mahogany Brain s'était déroulé avant tout enregistrement,
au théâtre du Lucernaire, dans la foulée de la rencontre entre Bulteau et
Geoffrois, le premier jetant des briques sur ses rares spectateurs tandis que le
second faisait du bruit avec sa guitare. Anecdotique ? Toujours est-il que ce
moment, par sa singularité est resté mythique, comme le geste désespéré d'un
groupe qui ne sait pas jouer, mais qui sait bien que le rock, ce n'est pas seulement
de la musique, mais surtout une attitude outrancière et une volonté, poussées à
l'excès... 40 ans après la sortie du premier disque, la beauté de Mahogany Brain
demeure bien parce qu'au fond ce groupe n'a jamais fait de littérature.
Sa musique n'est pas du rock littéraire, ni de la poésie mise en rock, mais plutôt
l'équivalent sonique et sonore d'un livre de poésie, une sorte de bulletin de santé,
un état des lieux des bruits traversant à un moment de leur vie les têtes et les corps
d'une bande de poètes illuminés. Des poètes qui n'avaient pas encore tout à
fait trouvé leur place, mais avaient réussi en faisant cette musique à imprimer
ce qu'ils avaient en eux-mêmes, leurs contradictions intimes et leurs amours des
situations les plus limites. Mahogany Brain est habité à la fois par l'écriture et
l'expérimentation, les drogues et les rues de Paris, le souvenir d'expériences
décaties et la foi insensée en une possibilité ferme : celle que la musique peut se
faire tel qu'on la conçoit dans sa tête, que le rock peut aller au-delà de lui-même et
que, oui, on peut être à la fois poète et guitariste, lire Rimbaud et se fendre d'amour
pour le Velvet Underground. «Les poètes meurent debout» écrit en 1972 Michel
Bulteau dans son recueil Poème A (Effraction Laque). Son vers est la meilleure
illumination pour son groupe qui, parti, laisse bien derrière lui une musique à
l'armature tellement dense et habitée, qu'on ne l'imagine pas autrement, debout.
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