Enfouie sous une chape d'oubli ou proposée dans des rééditions
dépourvues de rigueur critique, la production féerique de Mme de
Villeneuve et de Mme Leprince de Beaumont, narratrices
qu'associent pour toujours leurs deux versions littéraires du conte
intitulé «La Belle et la Bête», est ramenée ici à son aspect originel
grâce à un travail philologique attentif, qui en restitue aussi le cadre
intégral initialement prévu : La Jeune Américaine et les contes
marins (1740-1741) et Les Belles Solitaires (1745) pour Mme de
Villeneuve, le Magasin des enfants (1756) pour Mme Leprince de
Beaumont. C'est avant tout leur distance littéraire que met en
relief, malgré leur proximité chronologique, cette opération de
fouille ou de restauration de leurs oeuvres.
Chez Mme de Villeneuve, la sensualité souriante ou menaçante
liée au goût des Lumières, s'entoure d'hommages au Grand Siècle,
qui la rapprochent de Crébillon père, l'académicien dont elle fut
longtemps l'assistante.
Chez Mme Leprince de Beaumont, dont l'image a été renouvelée
par d'étonnantes découvertes biographiques, la modernité prend
résolument le pas sur la tradition : en témoignent la linéarité cristalline
de ses contes, pourtant insérés dans une chaîne palindromique
assez complexe et porteuse de signification, la vivacité de
son style coupé, sa réception subvertie des emprunts intertextuels
du passé, et la dominante pédagogique qui la caractérise, en mesure
d'anticiper sur le développement du genre féerique au siècle suivant,
sans pourtant sacrifier entièrement, comme on l'a trop vite
affirmé, le pouvoir euphorisant du merveilleux et le plaisir du
«contage» qui ont contribué à projeter ses contes - sa «Belle et la
Bête» en particulier - dans l'imaginaire fabuleux de notre époque.
We publiceren alleen reviews die voldoen aan de voorwaarden voor reviews. Bekijk onze voorwaarden voor reviews.