« Si l’alchimie n’avait jamais eu pour objet que ce double rêve de la cupidité et de la faiblesse, le secret de convertir tous les métaux en or et celui de prolonger à volonté la vie humaine dans un corps exempt de douleurs et d’infirmités, je me garderais bien d’évoquer le souvenir d’un art aussi chimérique, et, s’il ne l’était pas, aussi dangereux. Mais elle s’est proposé, à un certain moment, un but plus élevé et plus sérieux. Entraînée par ses illusions mêmes à la recherche, quelquefois à la découverte du vrai, elle a préparé la régénération des sciences naturelles, en les poussant, du côté des faits, dans les voies de l’expérience et de l’analyse, et en les rattachant par leurs principes aux plus hautes spéculations de la métaphysique. A ce titre, elle pourra exciter quelque intérêt dans un temps qui est à l’épreuve de ses erreurs et qui se pique de justice envers les siècle passés.
L’origine de l’alchimie, comme celle de la plupart de nos connaissances vraies ou fausses, se perd dans un nuage. Cependant il est difficile de la faire remonter avec quelques adeptes jusqu’à Mezaraïm, fils de Cham et premier roi d’Égypte, ou jusqu’à l’auteur supposé du Pœmander, ce prétendu monument de la mystérieuse sagesse des prêtres égyptiens, Taut Hermès Trismégiste. Le titre de philosophie hermétique, sous lequel on désigne l’alchimie, et la ressemblance de ce dernier nom avec celui de Cham, le patriarche de l’Afrique, ne paraîtront à personne une garantie suffisante de cette vénérable antiquité. On reconnaîtra peut-être un premier essai de chimie générale dans quelques-uns des plus anciens systèmes philosophiques de la Grèce : dans les atomes de Leucippe et de Démocrite, ressuscités, avec des attributions plus modestes, par la science contemporaine ; dans les quatre éléments d’Empédocle, qui continuent de désigner sinon les principes, au moins les différents états de la matière, tantôt solide comme la terre, tantôt fluide comme l’air, liquide comme l’eau, impalpable, c’est-à-dire impondérable, comme le feu ; et enfin dans la théorie plus savante des homéoméries d’Anaxagore. Mais, il y a loin de là à faire de Démocrite un alchimiste, disciple des prêtres de Memphis, du mage Ostanes et d’une certaine Marie, surnommée la Juive, dans laquelle, franchissant une distance de dix à douze siècles, on a reconnu la sœur de Moïse. Cependant n’avons-nous pas les ouvrages que le philosophe abdéritain a composés sur le grand art, sur l’art sacré, comme il l’appelle ? Oui, sans doute ! Mais ils méritent le même degré de confiance que ceux de Taut lui-même, du mage Ostanes, de la prophétesse Marie, qui sont également entre nos mains, avec beaucoup d’autres, signés des noms d’Aristote, du roi Salomon et de la reine Cléopâtre. »
Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.
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