En France, les municipalités produisent aujourd'hui 47 millions de tonnes de
déchets par an ; elles consomment environ 6 milliards de mètres cubes d'eau
et produisent à peu près la même quantité d'eaux usées. Les villes consomment
donc beaucoup et perdent presque autant. Elles constitueraient, selon l'écologue
Eugen Odum, des écosystèmes parasites, vivant au détriment des autres tout
en affectant le fonctionnement biogéochimique de la biosphère.
Déchets et eaux usées sont d'excellents traceurs des relations qu'entretiennent
les sociétés et la nature et permettent de s'interroger sur la permanence du
parasitisme urbain - question d'importance au regard des enjeux du
développement durable. Une première analyse laisserait penser que
l'industrialisation et l'urbanisation caractéristiques des deux derniers siècles
ont renforcé le rôle destructeur des villes et la production de déchets de
toutes natures : le déchet serait en quelque sorte consubstantiel à la ville.
Sabine Barles revient ici sur cette hypothèse en montrant que l'invention des
déchets urbains est relativement récente. L'analyse et l'exploitation du cycle
des matières furent en effet déterminantes au cours de la première révolution
industrielle. Leur circulation de la maison à la rue, de la rue et de la fosse
d'aisances à l'usine ou au champ contribua au premier essor de la consommation
urbaine. Scientifiques, industriels, agriculteurs - parfois confondus -
regardèrent la ville comme une mine de matières premières et participèrent,
aux côtés des administrations municipales, des services techniques et des
chiffonniers, à la réalisation d'un projet urbain visant à ne rien laisser perdre,
projet garant de la salubrité urbaine, du dynamisme économique et de la
survie alimentaire.
Ce n'est que lorsque industrie et agriculture purent se passer de la ville
qu'elles lui abandonnèrent ses excreta au profit d'autres matières premières plus
abondantes, plus rentables, plus commodes. De fait on assiste, à partir des
années 1880, à une dévalorisation progressive des excreta urbains qui se feront
plus tard déchets et eaux usées, malgré les tentatives faites çà et là pour leur
trouver de nouveaux débouchés. Chimistes et agronomes se détournèrent de la
ville qui échappa dès lors à leurs compétences.
La ville, principal lieu d'une consommation dont elle avait dans un premier
temps permis l'essor, rompait ses liens matériels avec l'agriculture et l'industrie
et devenait ce que dénonçaient les premiers écologues urbains : un parasite.
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