1913, naissance de la modernité.
En 1913, à deux mois d'intervalle et aux deux extrémités de l'Europe, deux concerts de musique classique déclenchent les pires scènes d'émeute qu'on ait jamais vues dans ce monde d'habitude très guindé. En mars d'abord, à Vienne, des œuvres de Schoenberg, Berg et Webern déclenchent un véritable pugilat au cours duquel la police doit séparer partisans et opposants de cette musique terriblement dissonante. En mai, ensuite, à Paris, c'est la création du
Sacre du printemps
de Stravinsky qui dégénère en bataille rangée dans le tout nouveau Théâtre des Champs-Élysées. Aujourd'hui encore, ces deux soirées restent connues comme les plus grands scandales de l'histoire de la musique dite " savante ".
Ces esclandres n'ont pas eu lieu fortuitement. Ils se produisent à un moment où l'Europe artistique et culturelle est en ébullition. Dans tous les domaines – peinture, sculpture, musique, architecture, danse, littérature, philosophie, sciences –, les formes et les certitudes héritées des siècles passés sont malmenées, remises en question, piétinées. Le cubisme de Picasso, l'expressionnisme de Kandinsky, le ready-made de Duchamp, la relativité d'Einstein, la psychanalyse de Freud : partout, la subjectivité et l'abstraction font irruption sur le devant de la scène.
Pour nous faire vivre ces deux soirées historiques, deux personnalités, parmi une profusion de témoins : Stefan Zweig, à Vienne, et Jean Cocteau, à Paris. Jeunes écrivains à l'époque, connectés à tous les artistes de leur temps, fous de musique, ils sont les mieux placés pour nous faire sentir le basculement d'une société héritée du XIXe siècle vers celle que nous connaissons aujourd'hui.
Ce que racontent ces deux concerts-scandale de Paris et Vienne, c'est la naissance de l'art moderne. Un art plus difficile d'accès, qui ne caresse pas l'auditeur ou le spectateur dans le sens du poil. Un art qui ne se pose pas la question du beau dans les mêmes termes qu'avant. Un art qui, en définitive, prend le parti de laisser sur le bord de la route une grande partie du public, rebuté par un langage qui lui devient étranger. C'est ainsi que, pour beaucoup ‒ et c'est un paradoxe ‒, la musique s'est arrêtée en 1913.
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