Du XVIe au XVIIIe siècle un monstre hante le monde atlantique.
Deux figures reviennent avec insistance sous la plume et le burin des
architectes de la première mondialisation capitaliste, qu'ils soient
princes, prélats, marchands ou planteurs : Hercule et l'Hydre aux mille
têtes. Hercule symbolisait pour eux l'ordre, l'autorité et la souveraineté
de leur pouvoir. L'Hydre, son antithèse monstrueuse, symbolisait le
désordre et la sédition : les multitudes bigarées et rebelles que formaient
les hommes et les femmes dépossédés par l'enclosure des communaux, les
marins pressés à bord des bâtiments des marines marchande et militaire,
les criminels déportés outre-mer, les réprouvés des sectes religieuses
radicales, les insoumis et les déserteurs, les boucaniers et les pirates, les
esclaves africains...
La thèse avancée par Peter Linebaugh et Marcus Rediker dans L'Hydre aux
mille têtes est que ce prolétariat atlantique formait une classe anonyme
transnationale, hétéroclite et polyglotte, traversée par une exigence
d'émancipation et de démocratie radicale, dont les menées, depuis les
niveleurs et les bêcheux de la Première Révolution anglaise jusqu'aux
Jacobins noirs haïtiens, provoquèrent l'inquiétude et la féroce répression
des pouvoirs en place, et marquèrent profondément leur temps.
Sous la plume de Linebaugh et Rediker, l'histoire «vue d'en bas» du
capitalisme, de l'invention démocratique et des résistances populaires
à l'époque de la première mondialisation change donc de perspective :
l'Hydre devient la figure du mouvement et de la résistance des multitudes
révolutionnaires auxquelles il s'agit, à travers des récits de vies et
d'insurrections, de restituer la visibilité et l'importance dont l'histoire
les a privées.
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