José Lezama Lima (1910-1976) est le penseur latino-américain qui a accompagné son temps et épousé son pays, Cuba, au point que son ami Cintio Vitier parlait de lui comme de «l'homme qui pénètre et rend la terre transparente». Son roman Paradiso est une somme théologale ; ses poèmes restent à ce jour des oracles énigmatiques quoique tous ses lecteurs pressentent qu'ils fondent un nouveau classicisme ; sa conversation était socratique, ses premiers disciples militants furent Cortázar et Severo Sarduy. Octavio Paz lui témoigna sa révérence et, depuis, son enracinement dans l'universel ne cesse de s'approfondir ; il était conscient de sa puissance et disait : «Je comprends de vastes journées depuis le germe jusqu'à l'accouchement que la rhétorique apaise.» Dans L'Expression américaine, par un parcours chronologique qui met en lumière des faits et des individus généralement ignorés, depuis l'origine de Pachacamac jusqu'à Gershwin, c'est le rapport entre l'Europe et l'Amérique qu'il cerne, annulant la malédiction culturelle propre à chacun des deux continents : les uns sont rachetés de leurs abus de pouvoir, les autres sont sauvés de la honte, de l'impuissance. Le mariage heureux autour du banquet de la culture trouve enfin son couronnement au niveau de la théorie, selon ce qu'il appelle «l'éros connaissant» ou le «système poétique du monde». Le groupe de créateurs aimantés par Lezama avait pour nom Orígenes ; L'Expression américaine est la trace d'un geste collectif qui, par excellence, «ne cherche pas à formuler un programme, mais à lancer les flèches de son propre sillage», parce qu'elle repose sur la conviction que «le peuple est une substance qui se projette dans le Temps».
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