« Lire ensemble » : cela devrait s’entendre en plus d’un sens, au fil croisé d’au moins quatre lectures. La première et la seconde sont la double attention, explicite ou plus secrète, que Derrida et Levinas ont accordée, chacun, à leurs œuvres respectives — et à l’effet de celles-ci sur leur cheminement. L’un et l’autre se sont écoutés – cela fait déjà deux lectures.
À chaque moment de son histoire, la philosophie rassemble des penseurs autour d’une (ou plusieurs) œuvre(s) singulière(s) à laquelle ils se confrontent communément. Ils forment alors autour d’elle – parfois contre elle – la constellation de ses lecteurs, dans la conviction, partagée, qu’aucun pas ne saurait être accompli hors cette confrontation. Pour tous deux, outre la phénoménologie husserlienne, une œuvre s’est imposée plus qu’aucune autre : Être et temps de Heidegger qu’ils n’ont cessé de lire et relire, sinon « ensemble », du moins en écho. À celle-ci, bien d’autres pourraient être ajoutées, à commencer par celles qui auraient pour foyer les récits de Blanchot ou les poésies de Celan – voici une troisième façon d’entendre ce qui les associe. Mais on a parlé de quatre lectures. La dernière est celle qui préside doublement à l’organisation de ce volume. Il ne s’agit plus de ce que Derrida et Levinas ont lu ensemble, mais de la façon dont nous les lisons ensemble – à la fois l’un et l’autre et à plusieurs.
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