Pierre Jean Jouve écrivit dans son «Journal sans date», En
Miroir (Mercure de France, 1954) : «Un plus mauvais jour fut celui
où je rencontrai Jean Paulhan, car on sait le dommage qui s'ensuivit
pour toute une partie de mon oeuvre.»
Si la vie éditoriale du poète, entre 1925 et 1961, a été partiellement
entre les mains du directeur de La NRF, Jean Paulhan a
peut-être été, parmi ses correspondants, le plus à même de comprendre
le secret de son oeuvre : en témoignent ces 149 lettres d'un
Jouve ombrageux et angoissé par l'édition de ses textes, ainsi que
les 19 lettres retrouvées de Paulhan (les autres ont été détruites
par Jouve) et un livre dédié à Paulhan, mais publié chez Grasset,
Le Paradis perdu (1929).
Accordant d'abord sa pleine confiance à celui qu'il nomme son
ami, puis devenant terriblement sensible à toute critique - seuls
Bernard Groethuysen, Gabriel Bounoure et Jean Wahl lui donnèrent
quelque satisfaction à La NRF -, Jouve s'évertua à ne pas
abandonner sa «continuelle position de défense». Hormis pendant
le temps de la guerre, où il entama avec son interlocuteur un dialogue
d'une nouvelle force, aimantée par la «cause sacrée» de la
Résistance...
«Soumis à la torture du silence» fait autour de ses écrits, Pierre
Jean Jouve manifeste dans ces missives l'intransigeante cohérence
de sa démarche intellectuelle qui mêla spiritualité et psychanalyse
: sa reconnaissance de l'«essence chrétienne» en 1924, le reniement
de son oeuvre antérieure à 1925, son renoncement au genre
romanesque, firent de lui un écrivain sans compromissions, solitaire
et unique dans «notre triste milieu» des Lettres de l'entre-deux-guerres,
celui où Paul Valéry est «un cadavre» et Jean
Cocteau «un poète en fil-de-fer» : «J'ai souvent le sentiment, confie
Jouve au début de l'Occupation, que l'événement fatal en couronne,
pour moi, un second plus intime : l'échec de mon acte poétique dans la
société où j'ai vécu.»
Rythmé par plusieurs crises, ruptures et réconciliations dont le
mouvement se clôt abruptement en 1961, ce corpus de lettres
ajoute peut-être du secret au secret de Pierre Jean Jouve, ne serait-ce
qu'en raison de l'absence presque totale de la voix de Jean
Paulhan. Cependant, rompre n'est pas haïr, c'est souffrir, affirme
Jouve dans En Miroir : «Mais qui donc est responsable ? Est-ce la tendance
de rupture intervenant sans finesse, sans ruse, sans diplomatie
- ou sont-ce les animosités exceptionnelles qui, dans la société parisienne
surtout, ont répondu à mon travail et à mon existence ? Je
mourrai sans doute n'ayant pas trouvé de réponse.» C'est l'une des
questions que Jouve semble avoir posée à Paulhan.
We publiceren alleen reviews die voldoen aan de voorwaarden voor reviews. Bekijk onze voorwaarden voor reviews.