Comment penser " Les solidarités " face aux défis de l'individualisme et de la globalisation ?
Un ensemble de spécialistes de tous horizons examine cette question cruciale, sous la direction du sociologue Michel Wieviorka.
L'idée de solidarité est ancienne, elle a une histoire, ne serait-ce qu'en occident, chrétienne, souvent caritative, puis républicaine : la " fraternité " de notre devise républicaine vient l'exprimer, mais peut-être aussi la transformer. L'idée de solidarité est au cœur de bien des mobilisations collectives, auxquelles elle apporte le ciment et la condition même pour pouvoir résister à un adversaire, ou mettre en œuvre une action offensive. Mais elle est aussi partie prenante du corporatisme, et elle permet à des sociétés secrètes de se perpétuer voire se développer. C'est pourquoi toute approche un tant soit peu générale de la solidarité doit envisager son ambivalence.
Où est la solidarité aujourd'hui ? Quand il n'y a pas d'emploi et donc de travail pour tous, peut-elle encore s'exercer à partir de l'entreprise, du bureau, de l'atelier et de l'action des travailleurs ? La nouvelle culture du partage, qui doit beaucoup à Internet et aux réseaux sociaux, à l'œuvre en particulier chez les plus jeunes, relève-t-elle de la solidarité ? Cette culture conjugue des formes d'entraide solidaire avec l'intérêt économique de ceux qui utilisent Airbnb ou BlaBlaCar. Cette évolution parfois qualifiée d' " uberisation " est peut-être plus la marque d'une métamorphose du capitalisme que celle de l'entrée dans une nouvelle ère de solidarité. En revanche, le reproche tombe lorsque l'on considère les théories et les pratiques du " care " qui promeut la sollicitude, l'attention réciproque entre ceux qui bénéficient d'une aide et ceux qui l'apportent, entre soignants et soignés par exemple. La solidarité devient ici interpersonnelle, tout en ayant besoin de conditions favorables, institutionnelles ou étatiques. Elle introduit sur un mode à la fois éthique et concret de la sollicitude en direction des plus fragiles dans diverses activités d'entraide, de soin, de travail social, etc.
L'individualisme, d'une part, et la globalisation d'autre part, exercent de forts effets sur la solidarité. La solidarité peut-elle être, doit-elle être tout azimut, inconditionnelle ? La conscience de notre appartenance à un monde global suscite des formes de solidarité qui dépassent le cadre de l'Etat-nation. Les phénomènes migratoires aujourd'hui mettent en évidence les difficultés qu'il y a, en période de crise économique et d'inquiétudes liées notamment au terrorisme et à l'islamisme, à faire valoir un point de vue solidaire et humaniste face aux peurs et aux égoïsmes qui sont à la fois nationaux et sociaux. De même, précisément, le terrorisme a pour effet paradoxal d'encourager diverses formes de solidarité, et d'en récuser d'autres.
La question des solidarités ne se pose pas seulement dans l'espace, à un moment donné, elle se pose également dans le temps. L'idée de développement durable implique de penser la solidarité entre générations, de la part de celles qui vivent aujourd'hui au profit de celles à venir.
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