Le manuscrit clandestin représente un genre très particulier
de la communication philosophique : on peut envisager
le Colloquium Heptaplomeres de Jean Bodin comme
l'archétype du genre, mais les quelques 200 textes répertoriés
et correspondant à près de 2000 copies remontent
pour la plupart à la deuxième partie du XVIIe et au siècle
suivant. L'ancêtre véritable de cette littérature foisonnante
s'avère être le Theophrastus redivivus qui, à une date assez
précoce (1659), fixe le paradigme du traité philosophique
clandestin, dans ses traits les plus radicaux : rigoureux
anonymat, critique rationaliste de la philosophie et de la
religion, mise en valeur de traditions alternatives, classiques
et de la Renaissance, lecture symptômale des textes
de référence de la culture officielle.
De l'âge libertin au plein épanouissement des
Lumières, ces traités traversent toute une époque de transformations
culturelles importantes : on ne saurait donc
parler de philosophie clandestine sinon au pluriel. Ces
textes en appellent tour à tour au scepticisme de
Montaigne et de Bayle, au rationalisme de Descartes ou de
Malebranche, à la métaphysique spinoziste ou au mécanisme
de Hobbes, à la méthodologie empiriste de Locke.
Surtout, ils essayent des voies nouvelles, par la combinaison
de parcours philosophiques parfois hétéroclites,
dans la conviction que l'histoire culturelle européenne
devrait être lue «entre les lignes», à la recherche d'une
vérité cachée au-dessous des professions officielles de foi
des écoles ou des auteurs.
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