Les films me regardent
Que je parle des acteurs du cinéma muet, de la transposition filmique du vaudeville ou de l'adaptation littéraire chez Rohmer, j'ai l'impression que je façonne une histoire du cinéma français à ma ressemblance. Je dis cela sans outrecuidance. C'est plutôt une manière de renoncer à la critique de films, pour être attentif à un mouvement moins conscient. Celui qui a consisté, pour moi, à m'installer dans le cinéma que j'aimais, comme pour cogner de l'intérieur contre la vitre. Comme si je ne pouvais exister, étrangement, qu'en devenant un personnage de ces films, en m'abîmant dans leur poussière, en y guettant une improbable renaissance.
D'où mon scepticisme persistant, face aux ruptures des années soixante. Je reviens sur ce chapitre dans l'un des entretiens qui constituent la deuxième partie. Pas par déni de la modernité, ou par vain passéisme. Par un désir plus obscur de renouer un lien avec la fiction, jusqu'à me donner à voir, dans mes films, comme l'otage d'un récit qui me précède, que je n'ai pas décidé. Il faudrait s'anéantir dans l'image, pour renaître de ses cendres. Ou disparaître dans le passé, avec l'espoir que ce simulacre va vous rendre la vie.
Dès lors, l'acteur retrouve sa place - et le corps. Cela a commencé avec Gaby Morlay, admirée à l'âge de dix ans comme une icône de féminité rassurante. Cela se poursuit avec moi, déambulant déguisé en femme dans mon film C'est l'homme, cherchant à passer de l'autre côté du miroir. Cela continue au gré d'« histoires » qu'on pourra lire un peu plus loin. Celle, par exemple, où je m'imagine dans le rôle d'un guillotiné d'autrefois, émergeant juste avant de mourir de l'opacité des archives. Je ne crois pas être un romancier. Mais je crois, passionnément, à ce que me raconte mon fantôme.
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