«Thomas Mann était un écrivain du matin. C'était entre neuf heures et midi qu'il travaillait à ses romans et nouvelles. Dans l'après-midi, s'il reprenait la plume, c'était pour satisfaire à ce qu'il appelait les "exigences du jour": réponses à des lettres, rédaction d'études critiques, déclarations sur des sujets divers. Il a publié plusieurs recueils d'écrits de circonstance. L'un d'eux était intitulé Die Forderung des Tages. Il parut en 1930 et contenait des essais datant des années 1925 à 1929.
Le présent recueil n'est donc pas la traduction de ce livre. Nous n'avons repris que le titre. Il nous a paru convenir à un ensemble d'écrits engagés dont nous avions établi le plan, avec Louise Servicen, lorsque nous préparions l'édition française des Considérations d'un apolitique. Ce volume constitue la suite des Considérations. Il en est la contrepartie, au sens musical et au sens figuré.
Dès sa jeunesse, Thomas Mann a été hanté par l'idée de décadence. Son premier roman raconte "le déclin d'une famille". Ce qu'il allait observer tout au cours de sa vie, ce fut le déclin de l'Europe elle-même, et dans tous les domaines. Il n'éprouva jamais l'impression que les hommes aient fait beaucoup de progrès depuis le siècle dernier. Il haussait les épaules quand on lui parlait du "stupide XIXe siècle", il le considérait comme très supérieur au nôtre sur le plan de la culture et de la conscience morale. Le nôtre est tout absorbé par la technique et par le sport, et son langage s'encanaille de plus en plus, ce qui est un terrible signe. Thomas Mann était un fier individualiste et ne voyait pas non plus d'un bon oeil l'attirance de la jeunesse pour une vie communautaire, désignée par lui comme la sphère de la facilité. Les hommes en groupe lui apparaissaient comme des troupeaux et il craignait que la personne humaine ne se transforme en robot.»
Jacques Brenner.
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