Le jeune Jérémie Tod ressemble trop à son père. On
va le lui faire payer. En pleine rue, on le fait battre
par un policier. Un homme, Théo Panol, intervient.
Maladroit, il tue le policier. Il est arrêté, jugé et condamné
: trente ans de réclusion. Ses amis décident
de le faire évader. Les chances de réussite sont à peu
près nulles. Ils vont quand même essayer.
Les Évadés est un inextricable entrecroisement d'histoires
d'amour, d'histoires d'amour présentes et passées, d'histoires
d'amour agonisantes et larvées, d'histoires d'amour réelles et
chimériques, les personnages étant liés sans exception par des
liens sentimentaux aussi vifs qu'incertains. Nous pourrions dire
tout simplement que Christian Gailly, avec ce roman, enferme
dans l'espace clos d'une petite ville une communauté d'individus
sans illusion, qu'il les suit chacun avec la même attention,
la même acuité, la même cruauté, et qu'il les anime comme un
marionnettiste. Les Évadés est un roman très romanesque, en
CinémaScope et en Technicolor, aux résonances de série B.
Mais Les Évadés est peut-être aussi une parabole sur la solidarité,
sur la beauté du sentiment collectif. La même idée germera
en effet au même instant dans la tête des principaux
personnages, dans une sorte de télépathie et d'illumination
générale : faire évader Théo Panol. La scène est belle, elle fait
penser à ces films de Lubitsch ou de Capra où les opprimés
réunissent leurs petites forces et leurs grands sentiments pour
partir à l'assaut des oppresseurs et des salauds, et le souffle
qui traverse le dernier quart du livre est aussi riche et inventif
qu'il est salutaire : il vient à point nommé pour nous rappeler,
en ces temps d'individualisme et de cloisonnement, que la
beauté du soulèvement collectif n'a pas d'égal - dût-il se terminer
dans le sang.
Éric Reinhardt, Les Inrockuptibles
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