En toute société humaine, certains vivent seuls.
Parfois cet écart fut choisi : du poète ou de l'artiste, du
misanthrope ou de l'ermite ; plus souvent a-t-il été
imposé, tel celui que suscitent certaines professions, la
discrimination et l'enfermement, ou plus ordinairement
l'absence d'un être cher.
Mais peut-on voir ici une «famille», dotée de
caractères communs, d'aspirations ou de regrets
semblables ? Observe-t-on entre ces «solitaires» un état
d'esprit voisin ? un mode d'existence comparable ? Il ne
semble pas ; dans cet isolement, ils restent jeune ou
vieux, aristocrate ou prolétaire, citadin ou campagnard,
pauvre ou fortuné, ignorant ou cultivé, croyant ou
agnostique, libre ou prisonnier, enfin heureux ou non.
L'endroit où ils vivent ne les distingue pas moins : du
salon de l'esthète à la cellule du condamné et l'arche de
pont du démuni ou, plus souvent, la demeure de chacun
de nous, seule l'absence de l'autre marque uniformément
tous ces lieux.
Comment dès lors, et surtout pourquoi, étudier
ensemble ceux qui les occupent ? Qu'ont-ils en partage
puisque ce n'est ni l'âge ou le sexe, la richesse ou la
misère, l'intelligence ou la sottise, la vertu ou son
contraire ? - Reste pourtant une «raison» d'en faire une
catégorie humaine autre que statistique : cette solitude
elle-même et l'expérience de soi que procure à
quiconque la mise à distance d'autrui.
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