Saint-Tropez, « pittoresque port de pêche », « aimable port de cabotage ». Saint- Trop’, « fille de la mer » et station balnéaire internationale... Les clichés et les réalités sont connus qui écrasent un passé maritime réduit aux labels de cité « corsaire » ou « du bailli ». Pourtant Saint-Tropez, petit port d’un complexe portuaire centré sur Marseille, a connu de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe siècle, un temps de croissance de l’espace urbain et de la population en réponse au dynamisme de la vie maritime. Plus de la moitié de la population active masculine est alors composée de marins soumis au service des classes sur les vaisseaux du roi. À côté d’une petite pêche côtière aux techniques traditionnelles qui ne mobilise qu’un nombre réduit de travailleurs, des fermiers exploitent des pêcheries fixes ou madragues pour la capture des thons, source de revenus et objets de longs conflits. Toutefois Saint-Tropez est avant tout un port d’armement qui dispose d’une flotte marchande importante – la troisième en nombre et en tonnage de la France méditerranéenne au XVIIIe siècle –, variée et en constant renouvellement, issue de chantiers locaux ou voisins. Ces bâtiments de mer sont mis au service d’un petit cabotage pour approvisionner la cité relativement isolée et distribuer les ressources de terroirs voisins (bois, vin, châtaignes, liège). Les navettes, lignes et circuits établis entre le Languedoc, la Provence, la rivière génoise et la Toscane dessinent les contours de cet espace marchand et rendent compte d’un grouillement le long des rives méditerranéennes. Cependant, si le cabotage de proximité anime le mouvement portuaire, les expéditions vers le Levant demeurent fondamentales. La caravane maritime, forme de tramping dans le bassin oriental de la Méditerranée et vers l’Afrique du nord, donne les impulsions majeures à la vie de la cité, jusqu’à définir le XVIIIe siècle tropézien. Dans ce type de navigation, où se mêlent transport et négoce, les capitaines, colporteurs ou « vagabonds des mers » à l’instar du modèle génois, sont les pivots d’entreprises originales. Ces capitaines aventuriers, qui pratiquent la « cueillette » dans les eaux ottomanes, sont au cœur d’organisations marchandes qui apportent aux sociétés des petits ports d’armement la flexibilité indispensable pour se glisser dans les interstices laissés libres par Marseille. Le cas de Saint-Tropez tend à montrer combien un petit port peut être un observatoire et le miroir des mutations des sociétés littorales et des économies maritimes considérées sur le temps long.
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