L’importance de Friedrich von Hardenberg alias « Novalis » (1772-1801) dans l’histoire de la littérature allemande et européenne est bien connue. En revanche, on ignore encore trop souvent que le poète romantique fût également philosophe. Lecteur passionné et subversif des grands penseurs de son temps (Kant, Fichte, Schelling, Reinhold, Jacobi, Schiller), Novalis se livre dans les Études fichtéennes (jamais parues de son vivant) à une interrogation de fond sur la philosophie transcendantale élaborée par ses maîtres, et en particulier par Kant et Fichte. D’une extraordinaire puissance spéculative, d’une précocité inouïe (l’auteur est un jeune homme de vingt-trois ans), Novalis fait se succéder à une vitesse vertigineuse, dans ces carnets totalisant 667 fragments, autant d’intuitions fulgurantes, de mécompréhensions et de transformations conceptuelles délibérées qui restent toutes à interpréter. La question essentielle de ces pages se présente rapidement comme celle de la manifestation. C’est plus précisément le thème de l’imagination, et par suite de l’image ou de l’apparence de l’être, c’est-à-dire de la perspective, qui se déplie nerveusement dans les fragments. Étroitement relié au problème du langage comme acte créateur, il apparaît dans le désordre, voire comme désordre. Car les méditations de Novalis ne suivent volontairement aucun protocole : pensées en acte à l’état pur, elles ne se soucient que de leur propre devenir, et tandis qu’elles affrontent jusqu’au non-sens, c’est à dessein qu’elles ne s’achèvent pas et qu’elles remettent en cause nos cadres de pensée hérités.
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