A la fin de 1941, à Nice, Aragon rencontre Matisse dans des circonstances qui conduiront à une collaboration suivie où chacun des deux artistes trouve son compte. Henri Matisse, roman, publié en 1971, est l'ultime et flamboyant témoignage de ces échanges. Prodigieux assemblages de textes écrits sur trente ans, le livre d'Aragon est à la fois un témoignage non-fictionnel sur un peintre - entre biographie, autobiographie et critique d'art -, une composition "romanesque" qui mélange les genres littéraires (poème, articles, essais, rêveries sur Matisse) et l'expérience matérielle d'un livre de luxe richement illustré qui définit son propre espace visuel.
La présente étude se propose de poser les fondements d'une poétique de la composition qui va bien au-delà de la pratique éditoriale du recueil. Cet espace livresque sans grand équivalent dans l'histoire de la littérature interroge en profondeur les frontières de la représentation dans l'exhibition permanente des éléments de la présentation. La relation critique du peintre et du poète, du visible et du lisible conduit à une interrogation en acte sur les modalités de l'écriture - sujet, temps, espace - et de la lecture. L'analyse proposée tente de rendre sensibles les coordonnées d'une expérience de la création littéraire confrontée à son alter ego, et celles d'une expérience à la fois du pouvoir et de la fragilité des critères d'identification de l'objet littéraire : sujet et objet, fictionnel et référentiel, récit et discours.
Lire Henri Matisse, roman, c'est éprouver en même temps l'éclatement de l'écrit dans son contact avec l'inassimilable, et la persistance, au delà des ruptures, d'un discours inspiré. Le livre rassemble les décombres d'un grand édifice national et les transforme en chantier d'une œuvre littéraire désormais impossible.
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