Nous vivons en un temps qui n'a pas de précédent dans l'histoire
de la biosphère terrestre. La technique que pratique l'homme, par la
puissance des outils qu'elle met en oeuvre et par le succès reproductif
qu'elle a permis, engage l'espèce dans un conflit fondamental entre les
comportements collectifs ataviques, produits de l'évolution qui les a
modelés, et les contraintes qu'imposent les ressources et les limites de
l'espace planétaire.
André Lebeau cherche non pas à prophétiser, mais à analyser la logique
de l'évolution technique et à identifier les mécanismes d'accélération
repérables dès les lents débuts, il y a quelques millions d'années, jusqu'à
l'explosion contemporaine.
Adoptant résolument le parti d'un regard extérieur, il considère la
société humaine comme un objet et la technique comme un prolongement
naturel de l'évolution darwinienne, un phénomène qui a sa source dans
le vivant, dépend entièrement du vivant et avec lequel l'espèce humaine
entretient un rapport privilégié mais non exclusif.
Le concept même d'évolution implique une mémoire qui permette
de confronter le présent au passé et au passé d'influer sur le présent.
L'évolution technique se fonde sur trois formes de mémoire stratifiées dont
les spécificités gouvernent sa nature et son rythme : les mémoires génétique
et neuronale, que possèdent à des degrés divers les êtres vivants, et la
mémoire dite «exosomatique», extérieure au corps humain et propre à la
seule technique humaine. La création, par la technique, de cette nouvelle
forme de mémoire est une source du puissant phénomène d'accélération
qui domine notre société et dont émerge une interrogation sur l'avenir de
l'espèce.
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