Loin de réduire le Décaméron à un projet de régénération linguistique et sociale qui accorde la priorité au plaisir, notamment au plaisir de raconter, cet essai en souligne la nature morale et philosophique. Car Boccace reprend à nouveaux frais la réflexion de Cicéron et de Sénèque sur la possibilité d'intégrer les biens secondaires, « préférables » (la renommée, le pouvoir, la richesse, l'amitié ou l'amour) dans la recherche de la sagesse et de la félicité mondaine, répondant aux exigences spirituelles des milieux courtisans. Les nouvelles montrent les conséquences extrêmes ainsi que l'échec de cette tentative, quand les biens préférables deviennent les biens « désirables », visant toujours un surcroît. Au-delà d'une fresque de la « société marchande médiévale », le Décaméron s'interroge sur la logique dévastatrice de l'intérêt propre. Rien ne dit que la peste soit finalement passée. Les personnages des dernières nouvelles, tous des exemples des « grandes âmes », magnanimes et surtout magnifiques, ne sont ni l'expression d'un itinéraire chrétien, ni la transformation de la « patience » stoïcienne. Il s'agit plutôt d'opposer à l'économie des passions, marquée par l'amour-propre, la force morale du désintéressement et de la désappropriation de soi, qui sont les valeurs inédites de la « grande âme ». Elles se soustraient souverainement à toute logique de l'échange ainsi qu'au désir d'être toujours le meilleur.
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