En 1950, impatient de mettre ma vie en mots, j'avais publié L'Homme humilié, un essai sur les déplacements de populations en Europe (je «faisais de l'humanitaire», en somme) que le Pr Massignon avait préfacé. Mais L'Eau grise, à l'automne 1951, fut mon premier roman. On y retrouve mes occupations et préoccupations de l'époque : crise d'un trop jeune couple qu'aucune douceur enfantine ne réchauffe encore, présence un peu fantômatique des réfugiés et DP's (displaced persons) en faveur de qui je travaillais. On aurait pu voir aussi dans l'emprunt à L'Epithalame, de Jacques Chardonne, d'une citation d'où j'avais tiré mon titre, quelque pétition de principe en faveur d'une esthétique et d'idées qui n'étaient pas les miennes. Les jeunes gens sont ainsi : ils se jettent à la littérature comme des chiens fous sur un morceau de bidoche.
Vingt-trois ans, un premier roman, un parrain vaguement compromettant, la rage de faire du romanesque avec tout : je n'allais quand même pas me plaindre ! Un demi-siècle a passé... Je suis encore là ? Il y a peut-être un peu d'impudence à ne m'être pas tu encore, j'en suis conscient. Mais quoi ! En cinquante ans on en trace des chemins ! On monte le mur, pierre à pierre. Inutile d'interpréter cette intéressante maçonnerie : contentons-nous de ne pas ébranler la base, le socle, le pied. «Le pied du mur» : il existe même une expression qui dit bien où j'en suis, car rééditer son premier roman, c'est y être parvenu, ou revenu.
F.N.
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